Nouvelle

Le Solitaire

Traduit de l’Anglais :^S
samedi 13 janvier 2007.
 

Nouvelle écrite pour un cours d’Anglais à l’université, traduite et augmentée par la suite ...

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C’était une claire et douce journée de printemps dans la vieille forêt de pins et les rhinocéros laineux broutaient dans les fougères. Autour du troupeau, les vieux mâles gardaient un œil au dessus des fougères pour surveiller les alentours afin de protéger les jeunes et les femelles. Au centre de la clairière se dressait une haute tour de pierre et de bois. Deux hommes profitaient du tableau paisible que composait ce troupeau depuis une des larges fenêtres qui se découpaient dans les vieux murs couverts de vigne vierge.

L’un des deux hommes était grand, sec, ses cheveux coupés courts grisonnaient ; sur ses épaules brillaient les insignes de Chef de Tour ; il regardait le troupeau à travers des jumelles et dictait des remarques dans un petit enregistreur. Le second homme était jeune, de taille moyenne, il semblait fasciné par le troupeau ; au bout d’un moment, il se décida enfin à poser une question.

« Combien sont-ils ? »

Angus Nag Clowt posa ses jumelles et dit :

« C’est un troupeau de vingt-deux rhinocéros, Henri, comprenant cinq sentinelles, trois jeunes de l’année, quatre jeunes en apprentissage, trois étalons, quatre femelles et trois meneuses : Blanche-Neige et deux autres que je ne connais pas.
— Ce n’est pas un gros troupeau, n’est-ce-pas ?
— Non, un troupeau comporte en général entre cinquante et soixante adultes : quand un troupeau est trop grand, une vieille femelle prend avec elle quelques jeunes femelles, étalons et sentinelles pour s’installer dans un nouveau territoire. »

Angus et Henri étaient en poste à la tour d’observation de la colline du loup, dans le territoire de la Station Forestière du Vieux Chêne. Les deux hommes étaient forestiers de la garde dans le quatrième district d’Hédénia. Henri Nag Manra était là en tant que forestier stagiaire pour pouvoir obtenir son diplôme de fin d’études.


Juste sous la tour « Vieille Neige des Montagnes » mâchait pensivement les fougères. Elle pensait aux deux bipèdes qui les avaient quelques fois aidés durant les plus durs hivers. Elle était la plus vieille des femelles du groupe et avec l’aide de ses deux vieilles amies « Mangeuse de Marguerites » et « Mâche Bruyamment », elle menait le troupeau aux pâtures d’été. Elle était inquiète car deux jours auparavant « Taureau Fou », l’une de ses meilleures sentinelles, était devenu un solitaire : il avait quitté le troupeau au petit matin en courant droit devant lui. Ce mâle-là n’était pas dangereux dans un troupeau mais, solitaire, il justifiait pleinement son patronyme, la blessure à l’épaule de « Court Longtemps » était là pour le prouver. « Vieille Neige des Montagnes » savait que les bipèdes curieux avaient le pouvoir de neutraliser ce solitaire furieux, voire de l’en débarrasser, c’était la raison de son arrêt sous la tour. En temps normal, elle avait plutôt tendance à les éviter.


Dans la tour, Angus pensait à la vieille meneuse qu’à cause de son pelage blanc les forestiers avaient surnommée Blanche-Neige.

« J’aimerais savoir pourquoi Blanche-Neige a conduit son troupeau ici : je la connais bien, elle ne s’approcherait jamais de l’homme à ce point sans une bonne raison.
— Ah bon ?
— Oui, chaque fois qu’on l’a vue s’approcher volontairement d’un homme ou d’un groupe, c’était pour demander assistance ; ne sous-estimez jamais l’intelligence des rhinos, ce sont des bêtes les plus intelligentes de la forêt, le vieux Morton savait ce qu’il faisait il y a mille cinq cents ans... Voyons, les sentinelles sont en position de combat et le troupeau compte vingt-deux têtes... Vingt-deux têtes... Henri !
— Oui, monsieur ?
— Sortez-moi les rapports sur les mouvements des troupeaux pour cette semaine sur le territoire de la Station du Vieux Chêne. »

Henri s’installa devant la console du terminal de la tour et effectua quelques manipulations sur le clavier.

« Voici la liste des mouvements, je vous ai sorti tout ce qui concernait le troupeau de Blanche-Neige. Vous avez l’air inquiet, des problèmes en vue ?
— Peut-être, voilà la fiche qui m’intéresse... Avant hier passage du troupeau de Blanche-Neige devant la tour d’Eaux Claires avec, voyons, vingt-trois têtes et six sentinelles ; Voilà donc pourquoi cette vieille sentinelle boîte... Henri, nous allons avoir un solitaire sur les bras !
— Un solitaire ?
— Oui, parfois un vieux mâle abandonne son poste de sentinelle et, dans la plupart des cas, devient extrêmement agressif. On les appelle les solitaires. C’est un des points négatifs que Morton n’a pas pu rectifier dans leur patrimoine génétique avant sa mort. Un solitaire fonce sur tout ce qui bouge et parfois même sur ce qui ne bouge pas. Pour un troupeau, cela devient un grand danger. Imaginez six tonnes de muscles fonçant à trente-trois kilomètres-heure avec une corne de près de deux mètres ! Il y a quelques années, alors que j’étais assistant à la station de Grande Prairie, j’ai dû tuer un vieux solitaire qui fonçait sur un troupeau. A l’époque, Blanche-Neige était troisième meneuse dans son troupeau, elle sait donc que nous avons les moyens de résoudre son problème et est venue ici afin de se mettre sous notre protection. Je vais à l’armurerie, vous allez donc faire le guet sur la terrasse car ce solitaire ne devrait pas tarder à débouler sur nous. »

Après avoir été chercher deux fusils chargés dans la petite armurerie de la tour, Angus remonta jusqu’à la petite terrasse qui surmontait l’édifice. Henri avait monté deux chaises et s’était installé pour surveiller les abords de la clairière avec ses jumelles.

« Croyez-vous que nous devrons attendre encore longtemps ? » dit Henri en posant ses jumelles.

« Je pense que nous n’attendrons pas plus d’une heure ou deux. La nuit va bientôt tomber et les vieux mâles ont tendance à avoir la vue qui baisse. Dès le crépuscule, ils deviennent aveugles » répondit Angus.

Les deux hommes attendaient depuis une heure et quart quand Angus remarqua les signes de l’approche du solitaire. Le vieux mâle apparut entre deux buissons, s’arrêtant net, l’air vaguement surpris par l’aspect des lieux.

« 17h45 apparition d’un rhinocéros laineux mâle, longueur approximative : six mètres quatre-vingt. Taille : environ trois mètres cinquante au garrot, corne d’à peu près un mètre soixante. Âgé d’environ quatre-vingt quinze ans. Poids estimé à sept tonnes deux cent cinquante... Fin de rapport. » Angus arrêta son enregistreur de poche et le posa sur le sol.

« Henri, prenez votre fusil et visez entre les yeux, c’est la seule façon de tuer du premier coup sans trop le faire souffrir.
— Monsieur, n’y a t-il pas une autre solution ?
— Non, vous devriez savoir que nous n’avons pas de lasers assez lourds pour l’achever plus proprement.
— Je voulais dire : sommes-nous obligés de le tuer ?
— Oui, la seule autre solution que nous ayons serait de le capturer et de l’enfermer dans une réserve de taille suffisante. Je doute que nous puissions trouver une réserve où il puisse tout détruire aux frais de l’Administration Forestière. De plus, nous ne pouvons pas le laisser errer dans la forêt et saccager les pépinières. N’oubliez pas, un rhinocéros est très dangereux quand il charge !
— Mais il n’a pas l’air agressif ?
— Faites attention et visez bien. Tirez au moment où il attaquera." »


Le vieux solitaire réfléchissait. Sa première idée avait été de foncer droit sur la tribu mais le site avait quelque chose d’anormal et dégageait une odeur étrange. Ce rocher planté bizarrement au centre de la clairière le dérangeait, il lui rappelait quelque chose. Soudain, un éclair blanc lui passa devant le nez. Sans réfléchir, il courut après cette forme blanche qui représentait pour lui quatre-vingt ans de service dans la tribu mais qui, depuis quelques temps, faisait monter en lui une inexplicable colère. Il n’avait couru que quelques foulées lorsque soudain le monde tourna au rouge avec un bruit de tonnerre et, tombant la corne en avant, il sentit sa vie quitter son vieux corps.

Dès que les coups de feu eurent retenti « Vieille Neige des Montagnes » s’arrêta net. Elle se sentait triste. « Taureau Fou » avait été une sentinelle loyale et un excellent instructeur pour les jeunes. Il savait si bien raconter les histoires drôles pendant les veillées. Du temps où elle était reproductrice dans la tribu des collines noires, il avait même été le père de deux de ses petits.

Pourquoi fallait-il donc que les vieux mâles deviennent ainsi parfois ? Allons ! Il était temps de revenir au présent, la tribu des Fougères Bleues avait besoin d’une meneuse forte.

Il était temps de partir.

Elle jeta un dernier regard sur le corps de « Taureau Fou ». La tribu n’aurait pas à l’enterrer, elle savait que les bipèdes s’en occuperaient.

« Vieille Neige des Montagnes » lança le cri de départ de la tribu et indiqua la direction à prendre puis elle s’enfonça dans les broussailles.


« Deux balles dans le cerveau, il n’a pas eu le temps de se rendre compte de ce qui lui arrivait... » dit Angus, l’air fatigué.

« Mais Blanche-Neige l’a excité, n’est-ce-pas ? » demanda Henri qui regardait le corps de l’animal qu’ils avaient abattu.

« Non, elle l’a empêché de penser en distrayant son attention. N’oubliez jamais que le rhino est beaucoup plus intelligent qu’on ne peut l’imaginer et que la folie furieuse n’empêche pas de pouvoir raisonner. Cette intelligence est la seule raison pour laquelle nous les laissons prospérer dans ces forêts. Imaginez le danger qu’ils représenteraient s’ils étaient aussi bêtes et agressifs leurs ancêtres les rhinocéros de la vieille Terre ! Allez Henri, il faut descendre effectuer les constatations de routine sur cette bête, faire les prélèvements d’usage et enterrer ce pauvre vieux mâle. »


Pendant que les deux forestiers discutaient à leur propos, la tribu de « Vieille Neige des Montagnes » s’en allait dans la forêt profonde. Le vieux rhinocéros blanc pensait à ses problèmes quotidiens : les jeunes de l’année seraient bientôt assez vieux pour parler, les jeunes en apprentissage devaient être bien éduqués et de nouvelles zones de nourrissage devaient être trouvées. Avant de quitter le champ de fougères, la vieille meneuse se retourna vers la tour et cria : « Adieu et encore merci ! » aux bipèdes qui les avaient aidés une fois de plus. Décidément, ils étaient curieux, ces êtres, toujours prêts à aider, jamais de contrepartie exigée.


« Chaque fois que vous aidez un rhinocéros laineux ou un troupeau, l’un deux, le plus souvent la meneuse, pousse ce curieux cri quand ils vous quittent. Je pense que cela veut dire quelque chose comme “merci” » dit Angus en regardant le troupeau disparaître entre les arbres de la forêt.



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